Tribunal de Commerce
de Paris. Jugement prononcé le 14 décembre 2001
15ème Chambre
RG 2000102317
26.01.2001
Entre : Société
Artprice.com dont le siège social est Domaine de la Source à
Saint Romain au Mont d'Or (Rhône)
Partie demanderesse assistée de Maître Emmanuel Pierrat,
avocat (M607) et Maître Pierre Buisson, avocat au Barreau de Lyon,
et comparant par la SCP Molas Léger Cusin et Associés, avocats
(P259 - XV).
Et : XX dont
le siège social est
Partie défenderesse assistée de Maître Meisner, avocat
(C1359) et comparant par Maître Jacques Monta, avocat (D546).
Après en
avoir délibéré :
L'activité juridictionnelle a été suspendue du 19
février au 26 mars 2001. Par une réunion extraordinaire
du 26 mars 2001 le Tribunal a décidé la reprise de cette
activité à partir du 27 mars 2001. Les parties ayant été
avisées.
Les faits
Artprice et XX exploitent des bases de données sur Internet. La
base Artprice répertorie environ 180 000 (oeuvres d'art)1
artistes fournissant des données biographiques sur les auteurs
accessibles librement et des indications des prix de ventes publiques
accessibles moyennant paiement. La base de XX, YY, a vocation à
être une salle des ventes en ligne. Accessible librement, elle recense
d'après sa publicité 200 000 résultats de vente,
52 000 artistes et 550 musées ; tout internaute peut enrichir cette
base avec ses propres informations.
Les 6, 7 et 8 janvier 2000, Artprice a constaté un nombre très
élevé de connexions à son site par XX ; elle a interdit
alors toute connexion de cette origine, et fait constater "l'intrusion"
de sont site par huissier.
Autorisée par le tribunal de commerce de Lyon, jugement confirmé
par la Cour d'Appel le 5 juin 2001, Artprice a fait procéder à
une expertise judiciaire dont le rapport a été déposé
le 14 juin 2000. Il confirme les connexions massives de XX réalisées
par un automate informatique.
(1) erreur
de plume.
La procédure
Le 8 décembre 2000, Artprice assigne XX pour la voir condamnée
à lui payer 500 000 F de dommages et intérêts pour
violation de ses droits de propriété intellectuelle, concurrence
déloyale et parasitaire majorés de 30 000 F au titre de
l'article 700 du NCPC, voire ordonner la publication du jugement sur le
site YY sous astreinte, et dans tout périodique de son choix et
aux frais de XX dans la limite de 80 000 F HT, exécution provisoire
et dépens requis. Elle confirme ses demandes dans ses conclusions
du 1er juin 2001.
Dans ses conclusions du 4 mai 2001 XX demande de débouter Artprice
de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer 15 000 F
au titre de l'article 700 du NCPC, dépens requis.
Les moyens
Artprice expose que l'extraction en deux jours par XX de données
biographiques de plus de 36 000 artistes est substantielle et illicite
au regard des articles 342-1 et 342-2 du CPI, même si la consultation
de sa base est libre et gratuite. XX a pu ainsi nourrir sans frais sa
base de données à partir d'éléments rassemblés
par Artprice.
XX expose qu'il ne saurait y avoir atteinte à la propriété
car l'accès à Artprice était libre et gratuit d'autant
qu'elle avait été sollicitée par la publicité
d'Artprice. De plus il ne saurait y avoir concurrence déloyale
dans la mesure où YY ne se situe pas sur le même créneau
de marché qu'Artprice.
Discussion
Sur l'atteinte à la propriété intellectuelle
d'Artprice
Artprice a consacré
des ressources pour constituer sa base de données. La mise à
disposition gratuitement de certaines données biographiques contenues
a pour finalité d'amener les internautes consultant son site à
consulter également les données accessibles moyennant paiement
et non de permettre à un tiers d'en tirer partie pour constituer
ou corriger sans frais sa propre base de données.
XX a soutenu à l'audience du juge rapporteur que cette consultation
avait pour unique but de vérifier que les informations que lui
communiquaient ses clients étaient correctes, ce qui implique qu'il
a utilisé le site d'Artprice dans le but d'améliorer son
propre site. Le rapport de l'expert révèle que par une procédure
automatique spécialement créée dans ce but et réalisée
de façon à en camoufler l'origine unique, XX a eu accès
à plus de 20% des entrées de la base Artprice. Il n'a été
empêché d'avoir accès à un plus large pourcentage
que par les mesures défensives prises par Artprice à son
encontre.
Ces faits montrent que XX avait pour objet de s'approprier tout ou partie
de la base créée par Artprice et non dans un but légitime
de simple vérification personnelle et privée. Il n'a d'ailleurs
pas tenté d'obtenir la confirmation par voie amiable ou judiciaire
de son droit de consultation aussi large qu'il le souhaiterait, ce qu'il
aurait pu faire s'il estimait légitime ce droit et illégitime
les restrictions mises par Artprice à une telle consultation.
Le tribunal considère en conséquence que XX a violé
les dispositions du Code de la Propriété Intellectuelle
protégeant le droit d'auteur et les bases de données.
Sur la concurrence
déloyale
Les objectifs d'Artprice et de YY ne sont pas les mêmes d'après
leurs dires. Néanmoins, surtout dans la mesure où l'accès
gratuit à une fraction de sa base de données est pour Artprice
un moyen d'appel pour inciter les internautes à en consulter la
fraction payante, le simple fait pour XX de rendre disponible sur sa propre
base des informations contrôlées auprès d'Artprice
cause un préjudice à celui-ci et constitue un acte de concurrence
déloyale sur le marché de l'Internet.
Sur les dommages
et intérêts
Sur la base du chiffre d'affaires d'Artprice qui a été de
19 MF en 2000, le préjudice subi par Artprice du fait des actions
de XX est estimé à 500 000 F ne paraît pas excessif.
Le tribunal condamnera donc XX à payer 75 000 Euros à Artprice.
Sur la publication
De façon à protéger pour l'avenir les droits du demandeur,
le tribunal ordonnera la publication du présent jugement dans les
termes prévus ci-après.
Sur l'exécution
provisoire :
Attendu que le Tribunal l'estime nécessaire, vu la nature de l'affaire,
il y a lieu de l'ordonner dans les termes ci-après.
Sur l'article 700
du NCPC : L'équité commande en l'espèce de faire
application de l'article 700 du NCPC à concurrence de 1 500 Euros
en faveur d'Artprice, déboutant pour le surplus.
Par ces motifs
Le Tribunal statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire
:
- Condamne la SA XX à payer à la société Artprice.com
75 000 Euros soit 491 967,75 francs à titre de dommages et intérêts,
- Ordonne la publication du jugement sur le site XX pour une durée
continue de trois mois à compter du lendemain de la signification
du présent jugement sous astreinte de 150 Euros soit 983,94 francs
par jour manquant, et ce pendant trente jours passé lequel délai
il sera à nouveau fait droit,
- Ordonne la publication du jugement dans trois périodiques au
choix de la société Arprice.com et au frais de XX dans la
limite d'un total de 7 500 Euros TTC soit 49 196,78 francs TTC,
- Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement, sauf
en ce qui concerne les publications, à charge pour la société
Artprice.com de fournir une caution couvrant en cas d'exigibilité
de leur remboursement éventuel toutes les sommes versées
en exécution du présent jugement outre les intérêts
éventuellement courus sur ces sommes.
- Condamne la SA XX à payer à la société Artprice.com
1 500 Euros soit 9 839,35 francs en application de l'article 700 du NCPC.
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Condamne la SA XX aux dépens, dont ceux à recouvrer par
le Greffe liquidés à la somme de 37,81 Euros TTC soit 248,05
francs TTC.
(APP 12.56 + AFF 18.70 + EMOL 178.20 + TVA 38.59)
Confié lors
de l'audience du 02.11.2001 à Monsieur Corpet, en qualité
de Rapporteur.
Mis en délibéré le 23.11.2001.
Délibéré par Messieurs Vieillevigne, Corpet, Madame
Romano et prononcé à l'audience publique où siégeaient
:
Monsieur Carrale, Président, Messieurs, Sevray, Vieillevigne, Vilarrubla
et Madame Romano, Juges, assistés de Madame Paravisini, Greffier.
Les parties en ayant été préalablement avisées.
La minute du jugement est signée par le Président du délibéré
et le Greffier.
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